"Le rapport "Une souffrance cachée", des évêques et supérieurs majeurs de Belgique, représente un effort considérable visant, d’une part, à faire obstacle à ce qui, dans les structures de l’Eglise, a permis, par des abus d’autorité, le passage à l’acte de certains représentants au penchant pédophile non dépisté et non traité et, d’autre part, le rétablissement dans leur dignité, leur estime de soi et le respect d’eux-mêmes des personnes qui ont été victimes de tels actes pédophiles - et personnellement, je m’en réjouis.
Ce souffle nouveau m’incite à une réflexion qui s’inscrit dans le prolongement de ce mouvement.
Au terme de "victimes", je préfère celui de "personnes qui ont été victimes". En effet, un des buts à poursuivre n’est-il pas que ces personnes finissent par renoncer au statut de victime auquel parfois elles s’identifient complètement ?
Je dis bien renoncer, car leur demande primaire consiste bien à ce que soit reconnu leur statut de victime et souvent à revendiquer que l’abuseur soit condamné, mais cela n’amène qu’à la satisfaction partielle de la pulsion haineuse et pas à une libération, même si cette revendication est la nécessaire première étape du long chemin qui conduit celui qui cherche à guérir à recouvrer sa pleine identité, identité qui n’est pas celle de "victime".
Il convient pour cela de commencer par remettre les choses à leur place, de briser l’effacement, le déni, l’enfouissement de l’acte qui les a blessés hier, ce que permet le rapport "Une souffrance cachée" (évoqué plus haut). L’expérience montre que cela ne suffit pas, la guérison de telles blessures ne dépend pas de l’abuseur, ni indirectement par sa condamnation, ou son opprobre sociale ni directement par son repentir ou par sa honte lors d’une confrontation, car paradoxalement cela reste un lien avec l’abuseur et peut maintenir inconsciemment la personne dans un état de dépendance à son égard. Le lien pervers qui relie inconsciemment la personne qui a été victime à son abuseur doit être rompu, ce n’est qu’alors qu’il est possible d’arriver à un éventuel, mais réel pardon.
Ce renoncement au statut de victime ne signifie pas qu’une aide matérielle soit négative, car elle peut compenser ce que ce statut de victime a pu engendrer comme limitation à l’épanouissement social de la personne, mais il s’agit là de justice et non de guérison.
Le renoncement au statut de victime peut nécessiter ou être facilité par l’intervention d’un thérapeute, ce dernier, s’il est proposé et rétribué par l’Eglise, doit rester parfaitement indépendant afin que puisse s’établir ce lien de confiance unique et de totale liberté entre la personne qui a été abusée et celui qui lui sert de passeur. Il est à mon avis souhaitable que ce thérapeute soit chrétien pour percevoir la trahison spirituelle et la détresse qu’elle entraîne."
Jacques JANSSENS
Psychanalyste
janssens.jps chez me.com